L'année fiscale passée a été mauvaise pour l'éditeur français. Les retards de Watch Dogs et The Crew ont été pénalisants, plaçant l'entreprise dans le rouge. Mais, plus que le report de blockbusters, ce sont les évolutions profondes des pratiques des joueurs qui impactent le chiffre d'affaires.
Ubisoft a publié hier ses résultats pour l’année fiscale 2013-2014. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ces chiffres sont loin d’être excellents. L'éditeur de jeux vidéo a plongé dans le rouge.
Son année s’est achevée fin mars avec une perte nette de 49,3 millions d'euros fin mars. Son chiffre d’affaires recule de près de 20% à hauteur d’un milliard d’euros pour la période 2013-2014. Son résultat opérationnel est lui aussi en baisse mais correspond aux annonces du groupe, avec une perte de 65,5 millions d’euros.
En cause, le retard de deux blockbusters
En octobre dernier, l’éditeur français avait averti ses investisseurs quant à ses résultats, arguant le fait que le report de deux jeux, The Crew et Watch Dogs, influerait sévèrement sur ses revenus. Ce ne sont en effet ni les frais de R&D, ni les frais commerciaux qui tirent ces chiffres vers le bas. Les investissements d’Ubisoft dans ces segments sont d’ailleurs en baisse sur la période 2013-2014. Yves Guillemot, PDG du groupe, impute principalement ce recul au retard pris sur ces deux titres majeurs.
Ce sont bien 4 blockbusters qui auraient dû sortir des studios en 2013. Seuls Assassin's Creed Black Flag et South Park : The Stick of Truth sont sortis en 2013. Leurs ventes ont permis à Ubisoft d’améliorer ses ventes au quatrième trimestre 2013, supérieures à l’objectif annoncé. Le premier s’est vendu à 11 millions d’exemplaires. « Cette franchise phare de l’industrie du jeu vidéo génère des revenus réguliers à forte rentabilité » se félicite le communiqué. Quant à South Park, ses performances « solides » ont évité le pire à Ubisoft. « Watch Dogs est parfaitement positionné pour devenir le meilleur lancement jamais réalisé par une nouvelle marque dans l’histoire de l’industrie », avance le PDG du groupe, mettant en avant le nombre record de précommandes. Malheureusement, le jeu sortira un semestre trop tard.
Initialement prévu pour le 21 novembre 2013, Watch Dogs, ce jeu où l’on incarne un vigilante adepte du hacking, s’est vu repoussé au 27 mai 2014. « Il nous est apparu évident que nous avions besoin de plus de temps pour peaufiner et sublimer chaque détail afin de vous offrir une expérience de jeu mémorable et exceptionnelle » annonçait à l’époque Ubisoft. Souhait d’améliorer le jeu pour les uns, crainte de la concurrence de GTA V et du Call Of Duty annuel (commercialisés en fin d’année) pour les autres, son absence des rayons a porté un coup sévère à Ubisoft cette année. Il en va de même pour le jeu de course The Crew, prévu au premier semestre 2014, repoussé au second. Les deux titres étaient pourtant très attendus.
Une évolution des pratiques de jeu
Si Ubisoft mise sur la sortie prochaine de ces deux titres, il ne faut pas négliger pour autant une évolution qui se dessine dans les résultats des différents éditeurs. Les profils de joueurs changent. A la lecture des chiffres publiés par l'éditeur français, on observe deux fortes tendances.
En premier lieu, le segment des « jeux pour joueurs passionnés » (ou hardcore gamers) accuse une baisse de 18%, à 758 millions d’euros. Si ce recul est imputable en partie aux reports de The Crew et de Watch Dogs, on constate que la part de jeux « hardcore » est en constant reflux quel que soit l’éditeur concerné. Cela s’explique par de nombreux facteurs : refus des systèmes de microtransactions de plus en plus présents, croissance des jeux dits « indépendants », mainmise de Steam et de son effet « soldes » sur le calendrier des joueurs… De même, le chiffre d’affaires grand public baisse de 24%.
Problème : il s’agit des segments « historiques », ceux qui portent depuis toujours le dynamisme des studios. Leur recul affecte fortement le chiffre d’affaires des éditeurs. Mais, à l’image d’Ubisoft, un segment émergent est en bonne voie pour les rattraper. « Cette baisse liée au recul du segment pour joueurs passionnés », explique Yves Guillemot, « a été en grande partie compensée, en pourcentage du chiffre d'affaires, par la croissance de la distribution digitale ».
Ce pôle d’activités se compose de la vente de contenus dématérialisés. Chez l’éditeur français, il est l’un des rares à afficher une hausse, à hauteur de 32%. A 195 millions d’euros, le segment « digital » représente désormais 19% du chiffre d’affaires total et pourrait bien dépasser la part grand public dès cette année.
Cette tendance s’accompagne d’un essor du casual gaming (jeu occasionnel), illustré principalement par le téléchargement d’applications de jeux mobiles. « Les lancements réussis de Trials Frontier, avec près de 10 millions de téléchargements sur iOS en un mois, et CSI: Hidden Crimes, jeux Free-to-Play pour smartphones et tablettes, viennent confirmer en ce début de nouvel exercice nos avancées sur ce segment porteur ».
Des perspectives optimistes
Côté perspective, Ubisoft voit grand. Le groupe prédit pour le prochain trimestre une hausse de son chiffre d’affaires « de plus de 300% par rapport au premier trimestre 2013-14 », aux alentours de 210 millions d’euros, grâce au lancement de Watch Dogs. L’éditeur tient compte des évolutions du marché et mise sur la hausse du segment digital, notamment à travers les revenus générés par le Free-to-Play « sur mobile et PC ».
Quant aux jeux pour « passionnés », Ubisoft annonce la sortie de cinq titres phares en 2014-2015 : Assassin’s Creed Unity, Far Cry 4, Just Dance, The Crew et Watch Dogs. Yves Guillemot précise : « Combinée à la rapide montée en puissance des consoles de nouvelle génération et à la forte croissance du marché online, notre offre ambitieuse de jeux doit nous permettre de placer 3 titres parmi les 10 meilleures ventes de l’année sur consoles et PC et d’enregistrer une progression significative de notre chiffre d’affaires digital ».

Toutefois, Ubisoft n’est pas à l’abri d’un nouveau retard pris sur ses blockbusters. The Division, un des titres les plus attendus de 2014, est déjà repoussé à 2015 pour contraintes techniques (ou bien est-ce pour ne pas saturer un marché déjà en berne). Quant à Farcry 4, sa sortie est programmée pour le 20 novembre… Soit au même moment que Watch Dogs l’an passé, dont il pourrait partager le sort. Cette nouvelle année fiscale ne s’annonce pas de tout repos pour Ubisoft.