L'arrivée de l'informatique et du numérique dans le monde de la musique ne date pas d'hier. Si il est courant de voir des ordinateurs émuler avec plus ou moins de bonheur tous types d'instruments, la composition reste dans l'esprit du public le domaine exclusif des humains. Pourtant, les ordinateurs composent aussi.
En mai, les premiers articles relatant le phénomène des Algoraves ont commencé à fleurir sur le net. Les algoraves, comme leur nom l'indique, sont des soirées improvisées laissant la part belle à de la musique générée uniquement grâce à des algorithmes, que les « DJ » modifient en live sur scène. A l’époque le phénomène nous intriguait, mais le manque d'information sur le sujet nous empêche d'en faire un papier digne de ce nom. J'en parle un peu autour de moi et, un soir, un ami évoque une connaissance en commun qui a écrit un « programme qui génère automatiquement du Steve Reich ». On tenait notre interlocuteur.
Benjamin Bouvrot a écrit son mémoire sur la répétition modulaire en musique et prépare maintenant une thèse sur l'automatisme dans la musique. Pour nous parler de musique générative, on ne pouvait pas rêver mieux.
Alors la musique générative qu'est-ce que c'est exactement ? Ni un style, ni un courant, mais plutôt une façon de produire de la musique. Cette technique a démarré dans les années 50, parallèlement au développement des ordinateurs. A l’époque bien entendu, il ne s'agit pas vraiment de faire produire du son aux ordinateurs, mais plutôt des partitions. « La musique est un des arts les plus quantifiés, la plupart des paramètres musicaux sont chiffrables », explique Benjamin Bouvrot. « Donc techniquement un ordinateur peut le faire. Une fugue, c'est presque un sudoku, une fois qu'on connaît les règles, la composition est très mécanique. »
The Illiac Suite, par Lejaren Hiller date de 1956. C'est la première composition générée par ordinateur, mais jouée par des instruments classiques.
C'est le principe de base de la musique générative : des algorithmes capables de générer de la musique par eux-mêmes, en suivant un certain nombre de règles prédéfinies. Si le programme est bien construit, l'ordinateur sera capable de produire des mélodies à l'infini, des ritournelles simples ou des fugues complètes, cela dépendra de ce que le créateur a décidé.
La boîte à musique
Le programme écrit par Benjamin fonctionne sur ce schéma. « C'est un programme assez simple qui génère un motif de 7 notes en choisissant dans une liste que j'ai définie au préalable. Toutes les 8 ou 16 répétitions, il calcule un nouveau motif à partir de ces notes, puis remplace une à une les notes de l'ancien motif par le nouveau », explique-t-il. Le concept est simple, mais fonctionne et permet des transitions en douceur d'un motif à l'autre. Le résultat fait notamment penser à Fase de Steve Reich.
Un exemple de morceau généré par le programme réalisé par Benjamin.
Mais Benjamin n'exclut pas de le faire évoluer. « Pour le moment, le programme manque d'interactivité. On se contente d'appuyer sur Play et d’écouter ce qui en sort. Mais j'aimerais en faire quelque chose de plus interactif : ajouter une interface visuelle pour pouvoir contrôler différentes variables et avoir une influence sur la musique générée. »
L'interface de MaxMSP peut être parfois très simple...

...mais parfois beaucoup plus compliquée, cela dépend de ce que vous recherchez.
D'ailleurs les possibilités d'interactions sont nombreuses : MaxMsp propose ainsi un patch permettant au programme de communiquer avec une carte Arduino. On peut incorporer différents capteurs venant influencer la génération de la musique en temps réel, des capteurs de mouvement faisant varier l'intensité, un potentiomètre pour gérer le nombre de notes par minutes, les possibilités sont nombreuses et beaucoup d'installations d'art contemporain reposent sur cette technique.
Puredata est l'alternative OpenSource de MaxMsp, par le même créateur.
Plusieurs programmes existent si vous voulez tenter l’expérience. Le
plus connu d'entre eux est probablement MaxMSP, ainsi que sa version
open source (et donc gratuite) Puredata. Vous pouvez également vous
passer de ces programmes et programmer directement votre algorithme
grâce à un langage de programmation, mais tous ne sont pas égaux. « J'ai commencé à porter mon programme sous Python mais la gestion du MIDI
est un peu complexe », poursuit Benjamin. « Java a l'air plus approprié pour ce type de créations ».
Et les prérequis pour tout ça ? « Ça demande une connaissance de base de comment fonctionne un algorithme, le reste n'est pas excessivement compliqué ». Les programmes tels que MaxMSP disposent d'une interface visuelle permettant aux utilisateurs
ayant horreur des lignes de codes de programmer leur algorithme.
Les jeux vidéos : terrain propice pour la musique générative
Si la musique générative peine encore à toucher le grand public, il y a un domaine où elle s'est depuis bien longtemps imposée comme une évidence : les jeux vidéos. Adapter la musique et l'ambiance à ce que fait le joueur est un défi que les compositeurs de musique de jeu vidéo ont toujours à l'esprit. Des jeux entiers sont basés sur la musique générative et l'interaction avec le joueur, on citera par exemple Elektroplankton sorti en 2005 sur Nintendo DS. Et d'autres expérimentations sont possibles : un programme MaxMSP réalisé par FX Dupas permet ainsi de générer de la musique d'ambiance variant selon une jauge d'intensité (contrôlée par un simple fader, mais qui pourrait tout à fait être basé sur différentes variables internes au jeu). La musique peut s’accélérer et devenir menaçante ou au contraire s'apaiser et se calmer sans que la transition ne soit brutale.
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