Les polices, un objet à mi-chemin entre le logiciel et la création artistique.
Les polices sont aujourd’hui largement répandues sur nos ordinateurs et nous utilisons tous les jours, sans trop y penser, différentes d'entre elles pour de la mise en page, de l’édition de document ou pour tout projet impliquant du texte. Généralement livrées avec les différents programmes de l’ordinateur, l’utilisateur ne se pose que rarement la question de la provenance des polices installées sur son poste, ni de savoir s’il a le droit de l’utiliser ou non.
Pourtant, les polices à l’instar des logiciels tels que Photoshop, sont soumises à des licences qui autorisent ou restreignent l’utilisation qu’on peut en faire. Si dans l’usage quotidien ces questions posent rarement de problème, la donne n’est plus la même dès lors que vous envisagez d’utiliser ces polices pour une utilisation professionnelle : rien ne vous empêche techniquement d’utiliser telle ou telle fonte de caractères dont vous n’avez pas les droits pour un projet d’affiche ou de site Web commandés par un client. Mais si vous ne disposez pas d’une licence appropriée, vous faites courir un risque juridique à votre client : la fonderie ou le designer ayant crée la police de caractère peut tout à fait faire valoir ses droits.
« On évite généralement d’en arriver à la confrontation judiciaire », explique Jean François Porchez, fondateur de la Typofonderie, une des fonderies numérique française notamment à l’origine de la police de caractère utilisée par le journal Le Monde. « Le but n’est pas de profiter de ce type de situation. La plupart du temps, elles ne sont d’ailleurs pas volontaires et relèvent plus de l’inattention qu’autre chose. On recherche avant tout un règlement à l’amiable, dans une logique pédagogique en premier lieu ».

La police Le Monde, utilisée par le quotidien a été crée par Jean François Porchez.
Il est en effet important de comprendre qu’une police de caractère demande énormément de travail pour un designer, qui passera parfois plusieurs mois à peaufiner son projet avant de la mettre en vente. Le seul revenu que l’on peut espérer de ce type d’activité provient des licences d’utilisation cédées par les fonderies pour l’usage professionnel des polices. Outre la somme de travail que ce type de projet demande, la typographie requiert tout un ensemble de compétences, autant artistiques que techniques, pour parvenir à créer un caractère offrant une bonne lisibilité sur plusieurs supports et pouvant s’adapter et se décliner selon les besoins des clients.
Dans cette logique, les fonderies développent généralement plusieurs offres pour les clients : on peut ainsi opter pour une licence complète autorisant l’utilisation de la police sur tous les supports, ou pour des versions restreintes qui ne permettent l’utilisation que sur certains types de projets : web, print, applications etc. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une police se conçoit de la même façon qu’un logiciel de création tel qu’Adobe Photoshop : vous payez la licence, qui vous permet d’utiliser cette police dans vos projets. Ce que vous faites de cette police vous appartient totalement tant que vous restez dans les limites posées par la licence en votre possession. Comme les logiciels, chaque fonderie a ses propres licences et toutes n’autorisent pas les mêmes utilisations, un aspect à garder à l’esprit au moment de l’achat.
Le piratage, un faux problème ?
L’usage de polices sans la licence appropriée par des particuliers n’est pas vraiment le problème majeur des fonderies typographiques. Le piratage est la norme pour tous les utilisateurs et, tant que la police n’est pas utilisée dans un projet professionnel ou à but commercial, vous n’aurez pas à vous inquiéter des licences d’utilisation de vos polices. Dans un contexte professionnel, la question mérite d’être posée, et plusieurs acteurs se sont déjà fait épingler pour avoir utilisé des fontes de caractères sans s’acquitter des droits (On peut notamment citer le cas de la Hadopi qui s’était attirée une bien mauvaise presse en utilisant une police sans en payer le prix). Mais Jean François Porchez constate une prise de conscience de la part des acteurs vis-à-vis de l’utilisation des polices. « On a de plus en plus de gens qui nous appellent pour nous poser des questions. C’est sûrement dû à plusieurs facteurs, la responsabilisation du monde numérique ou une meilleure reconnaissance du travail des créateurs, mais on est confrontés à ce type de questions, à des gens qui ont le réflexe de se demander si oui ou non ils disposent bien des droits d’utilisation. » L’enjeu est de taille : d’une part, le risque juridique existe, même si les fonderies préfèrent régler ce type de soucis à l’amiable plutôt que de passer par les avocats. Mais c’est aussi une question d’image pour l’entreprise, une logique de transparence et de respect des fournisseurs qui peut parfois avoir un impact important pour un client. |